Il est un endroit non-loin de notre université que l’on
appelle La Place, tout simplement parce que s’en est une. On ne pourrait faire
plus simple : un carré de béton, des gradins, un petit kiosque et un grand
magasin juste en face. Y’a quelques éléments en plus comme des fontaines qui
sortent du sol ou des sculptures contemporaines qui ressemblent à rien mais je
voudrais pas faire ma belle.
Cette place est un lieu de passage quotidien et obligatoire.
Il faut dire qu’il est rare qu’on s’y assoit sans que rien ne se passe.
Tout d’abord, elle est un lieu privilégié pour l’observation
de la faune séoulienne. Les premiers dans la ligne de mire sont les ados qui
shufflent de 19 à 23h sans que papa-maman ne disent rien. D’abord j’aime bien
les regarder parce qu’ils dansent et que moi, si on danse (bien) devant moi, c’est
un peu comme si on m’offrait une tartine de Nutella. Je suis très envieuse de
leur flexibilité, leur rythme et leur souffle. Non parce que bon, j’ai essayé
moi aussi le tournage-croisé de jambes-ça-fait-ressort-je-me-relève-comme-si-de-rien-n’était.
Maintenant j’ai mal aux cuisses dès que je bouge. Après, ils sont marrants
parce qu’ils sont le reflet de n’importe quel ado dans le monde : ils
crient, ils crachent par terre, les filles font les belles qu’elles en peuvent
plus, ils courent partout… C’est beau la jeunesse.
Il y a aussi des couples. Un peu trop à mon goût mais il n’est
pas possible de les exterminer. Enfin, pas tout de suite. Comme je l’ai dit et
redit, le couple est chiant parce que trop parfait. Du moins, sur cette place.
Parce que dans la vraie vie, celle de quand tu rentres dans ta maison, c’est
peut-être pas tous les jours bouquet de fleurs-tête callée sur l’épaule-j’époussette
le banc avant que tu t’assois-mangeons des nouilles et du popcorn en nous
regardant dans les yeux. En attendant, ils nous font chier à être amoureux et à
transpirer le bonheur. Surtout quand on voit un jeune homme mignon comme tout,
tout seul et qui soudain se fait rejoindre par une femme mi-thon, mi-veau. Transpirer
l’amour de toute façon ça pue.
Il y a aussi (et heureusement pour ma santé mentale) toutes
ces personnes lambda qui passent sans s’arrêter et que nous critiquons avec
grand plaisir. C’est pas ma faute si j’ai lu quelque part que critiquer aide à
oublier le stress… Y’a des vieux dégueulasses qui te regardent comme un morceau
de beefsteak en période de crise, ces fameuses filles qui n’en sont pas
vraiment, des enfants qui jouent, un chat qui porte un tshirt rasta…
Sur cette place, tous les mercredi, il y a un petit groupe
de 2 jeunes hommes qui viennent installer guitare, tam-tam et xylophone pendant
une heure en reprenant d'une voix suave (oh oui) des chansons coréennes que nous
ne connaissons pas mais LALALA, c’est universel, ça va, on peut suivre.
Figurez-vous que ces amateurs ont déjà des groupies. Elles sont toutes devant à
chanter en chœur, à prendre des photos et à leur offrir des boissons. Et nous
on est derrière dans l’ombre et on secoue la tête avec effarement et honte pour
elles. Il y avait aussi un autre groupe mais depuis qu’on a décidé qu’un de ces
soirs on devrait leur parler, ils n’ont plus réapparu. Bizarre.
C’est aussi sur cette place que j’ai vu l’Homme de Ma Vie.
Travailleur en t-shirt vert fluo, les cuisses saillantes, les cheveux toujours
bien en place, transpirant sous le dur labeur, je ne pouvais le louper. Bon,
lui m’a complètement zappé mais on s’en fout, le coup de foudre ne peut pas
toujours être réciproque, on n’est pas chez Jane Austen, merde ! C’est
aussi ce soir-là que Mathilde vu l’Homme de Sa Vie, monsieur aux yeux aussi
noir que son bonnet en laine, attendant on ne sait qui. Et puis ils sont
partis. Et on les reverra jamais. Sauf si on est vraiment chez Jane Austen et
que le destin en décide autrement.
Il se passe vraiment toujours quelque chose sur cette place, c'est fou.
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